vendredi 7 novembre 2014

Une seconde chance



Hermine AKPONNA


Une seconde chance

Ne jugez point !

« Faites entrer l’accusée !!! » lance le juge. Deux autres magistrats et les jurés l’encadrent, comme c’est toujours le cas pour une Cour d’Assises. 

« Leila Touré ! » appelle le greffier. 

Et nous la voyons s’avancer vers la barre. Elle est petite. Et toute simple dans son boubou et son pagne négligemment noué autour de la taille. Elle paraît frêle, mais elle est jolie, vraiment jolie ! Mais son visage est fermé, ses traits tirés, ses yeux cernés. Son regard, vide ! Aux interrogations, elle n’oppose que le silence !
 
 
« Madame, m’entendez-vous ? Reconnaissez-vous les faits qui vous sont reprochés ? »

Un seul hochement de tête, affirmatif ! Elle n’en dira pas plus ! Les témoignages vont se succéder. Et tous disent leur incompréhension devant un acte d’une horreur sans nom !!!

Puis le Procureur Général se lève, et au bout d’un réquisitoire sans concession, réclame la peine la plus lourde possible pour cette mère jalouse et sans cœur qui selon lui, pour se venger de son époux, a assassiné leurs deux enfants. Et la parole est donnée à l’avocate de la défense
:

" Mesdames, messieurs de la Cour, Leila Touré, 29 ans, docteur en médecine, est accusée, non que dis-je… COUPABLE, puisqu’elle l’a reconnu elle-même, d’avoir ôté la vie à ses deux enfants ! Coupable d’infanticide! Et je vous pose la question, qui d’entre vous connaît l’histoire vraie de cette mère indigne que chacun condamne à l’avance !
Leila est tombée follement amoureuse, à 19 ans, d’un jeune homme séduisant, travailleur, mais catholique alors qu’elle est musulmane. Ses parents ont menacé de la renier, mais elle a suivi son amoureux, à l’intérieur du pays, laissant derrière elle toutes les opportunités offertes à une jeune diplômée en médecine !
De son union avec cet homme devenu son époux quelques années plus tard, deux enfants, Mimi, 3 ans et Léo, 18 mois, sont nés! Malheureusement, son époux a commencé à la délaisser ! Il pouvait partir, deux, trois jours, sans donner de nouvelles ! Puis il a pris une épouse de chez lui ! Et elle, mal acceptée dans un milieu qui n’était pas le sien, n’a jamais pu trouver un moyen de s’en sortir.
D’autres se seraient prostituées. Elle, non ! Vous avez entendu ici des témoins, raconter comment cette femme quémandait des restes de nourriture, comment elle marchait seule dans la rue, Léo dans ses bras, et Mimi à ses côtés, comment elle se faisait battre par son époux quand elle allait lui demander des comptes  à son bureau.
Ses parents qui lui ont tourné le dos, ont avoué tout à l’heure à la barre, qu’ils ont refusé de lui accorder leur pardon. Et ses beaux-parents ont affirmé qu’elle était une sorcière qu’ils avaient menacé de tuer si elle franchissait le seuil de leur maison…
 Et hommes et femmes de notre société, nous l’avons vue déprimer, s’abandonner ! Et désespérée, un matin, elle s’est isolée avec ses deux enfants ! Elle leur a fait boire une mixture qu’elle avait préparée, elle a pris un couteau et elle les a égorgés ! Puis elle a absorbé près de soixante comprimés pour mourir à son tour ! Mais un monsieur passant par hasard, a découvert les trois corps et alerté les populations ! A l’hôpital, on a essayé de sauver les enfants mais il n’y avait plus rien à faire pour eux ! Mais la mère que voici a été réanimée et sauvée ! Sauvée aussi de justesse par les gendarmes, d’un lynchage programmé, et conduite devant votre Cour pour y être jugée ! Alors, je vous pose une autre question ! Est-ce elle que nous devrions juger aujourd’hui au nom de la société!
Mesdames, messieurs, au banc des accusés, nous devrions avoir ses parents, son époux et la société ! Ceux qui ont renié, rejeté, au nom de la religion ! Celui qui a fui ses responsabilités, refusé amour, assistance, protection et a laissé mourir ; et nous tous, hommes et femmes de cette société qui l’avons vue déchoir, qui avons ricané de sa faiblesse, qui avons voulu la lyncher. Parce que nous sommes d’une culture qui ne connaît pas la dépression, cette maladie, proche de la folie, qui pousse aux actes les plus extrêmes…
Non, mesdames, messieurs, cette femme ne mérite pas de retourner en prison ! Elle a juste besoin d’être soignée ! Comme un fou, elle était parfaitement irresponsable au moment des faits. Et je vous supplie de lui donner une seconde chance de survivre à ce qui lui est arrivé !"

Ainsi a parlé la défense dans cette histoire qui, croyez-moi est réelle ! Libre à vous de condamner Leila ou non ! La Cour elle, a suivi la défense. Mais si je vous ai raconté aujourd’hui son histoire, c’est pour introduire la compassion comme une valeur cardinale dans nos modes de fonctionnement, nos familles, nos sociétés ! Nous pouvons tous aider ceux qui désespèrent à relever la tête. Un regard, une oreille attentive, un sourire, une main tendue, et parce que, tant qu’il y a la vie il y a de l’espoir, donnons, chaque fois qu’il est possible de le faire, une seconde chance à qui en a besoin. 

Texte de Hermine AKPONNA, Journaliste Animatrice, Toastmaster
1er prix Concours Régional de Discours Saison 2011 

 Toute utilisation, reproduction ou diffusion des textes de ce blog doit faire l'objet d'une demande à l'auteur. Merci de respecter le droit d'auteur. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire